2ème partie
Ils restèrent enlacés pendant plusieurs minutes à la suite desquelles mon « père » s’avança vers moi et voulut me prendre dans ses bras. Je reculai instinctivement.
- Ne me touchez pas ! grognai-je.
- Mais enfin… Je suis ton père…
- C’est quoi un père pour vous ? C’est quelqu’un qui ne donne pas de nouvelles ? C’est quelqu’un qui n’appelle jamais pour votre anniversaire ? Si c’est ça, alors oui, vous êtes mon père.
- …
Il chercha quelque chose dans sa mémoire. J’aurais dû me douter que c’était quelque chose de si énorme qu’il aurait dû s’en souvenir.
- Lexie… finit-il par dire en posant la main sur mon bras.
Je la lui retirai violemment.
- Ah ! Oui ! m’exclamai-je. J’allais oublier : un père, c’est quelqu’un qui oublie le nom de sa propre fille.
Sur ces paroles où j’avais mêlé le plus de hargne et de méchanceté que j’avais en moi, je ramassai mes cadeaux et m’enfermai dans ma chambre à double tour. Là, allongée sur mon lit, je serrai les dents pour retenir le cri de rage qui montait en moi. Je crispai mes mains sur ma couette à tel point qu’elle garda les marques de mes doigts.
On tambourina à la porte :
- Lexie, c’est moi ! C’est Vic ! Ouvre, je t’en prie !
- Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? lançai-je.
- Je peux entrer ? Je te promets que je suis seule.
Je descendis de mon lit et entrouvris la porte. Je vérifiai qu’elle n’était pas suivie des adultes et la laissai entrer. Elle s’installa sur la chaise de mon bureau.
- Tout va bien ? me demanda-t-elle.
- Ça veut dire quoi « bien » pour toi ?
- OK, ça ne va pas. Mais pourquoi tu ne lui parles pas gentiment ? Après tout, c’est Papa.
- Papa, y a que toi qui l’as connu, d’accord ? Papa, moi, je connais pas. Papa, c’est juste un mot qui fait partie du vocabulaire de chaque enfant « normal ». Pas du mien. Si t’es venue faire son plaidoyer, tu peux repartir. Je ne veux même pas entendre un mot de plus.
- Mais, Lexie, tu devrais être contente ! rétorqua-t-elle. Tu as de la chance d’avoir un père qui revienne vivant et en un seul morceau de l’Iraq !
- Je suis de cet avis, moi aussi. Tu dois être ravie de voir revenir ton père. Moi, je n’ai pas de père. Je n’ai qu’une mère et une sœur. Alors maintenant, laisse-moi tranquille, s’il te plait.
Elle se mordit la lèvre, comme elle faisait quand elle avait de la peine. Pour ne pas passer pour une sœur indigne, je m’approchai d’elle, l’embrassai sur la joue. Elle craqua :
- Je ne comprends pas ! Pourquoi tu n’essayes pas de le connaître ? Pourquoi tu t’obstines ? Merde, grandis un peu ! Tu te comportes comme une gamine, toi qui as toujours été si adulte. Tu n’as pas compris que lui aussi a souffert de notre absence, à toutes ?
- Ce que je comprends, moi, c’est qu’il ne se souvient même pas de mon prénom ! Du tien, il s’en rappelle. De celui de Maman aussi. Moi, je n’ai pas cette chance ! Je n’ai pas le droit d’exister dans sa mémoire. Je ne suis que la môme qu’il a laissé en s’enrôlant il y a dix ans, le bébé qu’il n’a pas vu grandir. Je suis une inconnue pour lui ! Alors pourquoi il essaye de me prendre dans ses bras ? Tu fais souvent des câlins à des gens que tu ne connais pas ? Ce n’est pas mon cas. S’il te plait, Victoria, laisse-moi tranquille…
Je soufflai cette dernière phrase, suppliante au possible. Ma sœur se leva et sortit de la pièce, les joues trempées. Elle sa hâta de retourner voir son « Papa chéri ». Quant à moi, je sortis en courant de la maison et me réfugiai dans la cabane que le voisin m’avait construite pour mes six ans. En théorie, c’est le genre de chose qu’un père fait. Le mien n’avait pas eu le bonheur de se planter des échardes dans les doigts pour moi.